J’ai eu ce matin un appel d’une cliente que je connais depuis plusieurs années. Cet appel m’a à la fois émue et mise en colère…
Cette femme fait partie de l’équipe de direction d’une grande banque. Il y a 18 mois, ils ont déménagé pour aller dans un étage élevé d’une tour vitrée toute neuve.
La presse applaudit, les images sont très flatteuses. L’aménagement, pensé par des architectes connus, reprend les codes de tout ce qui se fait « de mieux en ce moment » (comprendre : « à la mode ») : Aménagements en openspace, avec des petites salles pour s’isoler, des espaces détente cosy, des couleurs vives, une moquette épaisse… Bureaux non affectés…
Le bilan humain ? catastrophique….
Ma cliente a fait un grave malaise cardiaque il y a quelques semaines. C’est pour me le dire qu’elle m’appelait.
Vous me direz, ce n’est pas forcément la faute de l’entreprise ni de l’aménagement.
Certes, si c’est un cas isolé…
Mais elle me dit aussi que, dans son équipe, composée de 14 personnes, 7 ont eu de gros ennuis de santé depuis 18 mois, dont un trentenaire victime d’un infarctus. Beaucoup de pépins cardiaques apparemment.
50% de l’équipe…. là, ça commence à faire beaucoup.
C’est choquant, quand même, cette casse humaine : ce sont des familles brisées, des enfants à qui le papa n’apprendra jamais à faire du vélo, à qui il n’apprendra pas à marcher …
On ne peut pas nier le lien entre problèmes cardiaques et le stress.
Bien-sûr, à ce niveau dans une grande entreprise, le stress est inhérent à la fonction et aux responsabilités exercées : pression des actionnaires, des clients, management « viril », etc… Certes.
En quoi l’aménagement de ces locaux peut-il exacerber ou réduire le stress ? en quoi le lieu est-il éventuellement co-participant de cette casse humaine ?
Les nouveaux aménagements d’espaces tertiaires « de pointe » reposent sur les principes suivants :
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- Espaces ouverts, et quand les cloisons existent, elles sont transparentes en grande partie : le regard passe, la fluidité (de la circulation, du regard…) est partout recherchée
- Variété des typologies de postes (on parle de « positions » pour compter les sièges, avec des postures variées : assises normales, assises hautes, fauteuils lounge, sièges en salle de réunion…), canapés dans des espaces détentes, tables de repas… ;
- dans le meilleur des cas, on a une position par personne, mais parfois on en a moins : on compte alors sur les déplacements, les congés, les formations, le home office ou… les arrêts maladie !
- Bureaux non affectés : plus personne n’a de bureau en propre, mais chacun se pose là où il veut (dans le meilleur des cas, celui où il a le choix) ou là où il peut (dans le pire des cas : question de dimensionnement par rapport aux effectifs et à leur évolution !)
- Dans « le meilleur des cas », on a bien travaillé l’acoustique, les couleurs et leurs impacts psychologiques…
- Dans « le meilleur des cas », on a doté chacun d’outils nomades, de connexion wifi performante, et on a mis en place le Home office
On parle de FlexOffice, d’Activity-Based Working…
Tous ces principes ont un objectif commun, ils visent à la mise en mouvement, au changement, dans un but de développer la créativité, l’innovation, de développer l’agilité…
Pour éclairer le lien entre ces principes d’aménagement des espaces de travail et les questions de stress, appelons à la rescousse un des principes de la pensée classique chinoise, la théorie du Yin-Yang.
Tout le monde connaît ce dessin, mais qui sait vraiment ce qu’il signifie, et ce qu’on peut en tirer de façon très pratico-pratique ?
L’occidental le voit comme binaire et en opposition. On fait deux colonnes et on liste :
Yang |
Yin |
« Bien »
« Masculin » |
« Mal » « Féminin » |
Etc…
Entre nous, c’est un peu vexant – et hors d’âge – cette association « féminin » = « mal » … ça vient du fait que les premiers traducteurs étaient des jésuites … mais c’est une autre histoire.
En fait le Yin et le Yang ce n’est pas du tout ça.
Gardons pour le moment le principe de deux colonnes (on y revient après), et listons des mots clés en rapport avec notre sujet :
Yang |
Yin |
o Mouvement o Activité o Créativité, innovation o Agressivité o Conquête |
o Stabilité / ancrage o Repos o Concentration o Ecoute o Acceptation, accueil |
Notre culture, notre éducation, nos modes de management, survalorisent le Yang ; donc il est assez logique que notre façon de penser les espaces valorise aussi ce Yang.
C’est vrai y compris dans nos espaces de vie ! On privilégie les espaces ouverts, décloisonnés, les grandes baies vitrées, … Tout ça c’est du Yang !
C’est vrai aussi dans notre rapport au temps ! Prendre une pause, dormir, sont parfois considérés comme du temps perdu !
Redisons-le, cette priorité donnée au Yang, c’est un trait CULTUREL, éducatif, c’est liée à un système de CROYANCES dans lequel on va retrouver des principes comme :
« quand on veut on peut, c’est une question d’organisation »
« le stress est stimulant, il faut savoir sortir de sa zone de confort »
« travaille et tu réussiras dans la vie ! »
« il faut savoir souffrir pour être belle »
« si tu n’as pas réussi, c’est que tu n’as pas assez travaillé /fait d’efforts, tu n’as pas été assez motivé »
Etc…
Sauf que, ce que l’on sait (en Feng Shui en particulier), c’est qu’on a aussi :
Yang |
Yin |
Prospérité |
Santé, relations |
Bingo !
Trop de Yang nuit à la santé et aux relations (je parle de relations = Qualitatif, pas d’interactions = Quantitatif, qui appartiennent au domaine du Yang)
Trop de Yang, dans la gestion (pas de temps de respiration, trop de sollicitations, trop d’interruptions…) et/ou dans l’espace (trop de mouvement, d’espaces ouverts etc…) favorise donc la prospérité (= la créativité, l’innovation, l’agilité…) MAIS nuit à la santé et à la qualité relationnelle (le collectif, en particulier) d’où : Stress, Burnout, pathologies sévères yc cardiaques…
Dans ce tableau Yin Yang, si on ventile les principes d’aménagement spatial concernés :
Yang |
Yin |
o Façades vitrées
o Espaces ouverts de grande échelle, plateaux ouverts o Atriums monumentaux o Parois vitrées o Bureaux non affectés o Nomadisme o Wifi partout
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o Des murs solides, opaques o Des espaces de retrait o Des espaces de petite échelle, séparés par des cloisons, o Des sièges enveloppants ou avec des dossiers hauts o Des appuis dans le dos : armoires, murs… o Un ancrage territorial o Des lieux sans ondes (connexion éthernet) |
A ce stade de la lecture, j’imagine certains hurler ou ricaner :
« quel retour en arrière cela serait ! Vous voulez donc remettre des bureaux fermés individuels, et des ordinateurs fixes ? »
C’est là où je voudrais revenir sur le fait que, résumer le Yin Yang sur deux colonnes, n’est pas juste… Comme le dit Cyrille Javary, éminent sinologue :
« lorsqu’un occidental parle clairement du Yin et du Yang en faisant deux colonnes, c’est qu’il n’a rien compris ! »
Car le Yin et Yang, ce n’est pas une chose binaire qu’on peut répartir en deux colonnes. Yin et Yang sont un continuum :
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- Il ne s’agit pas d’opposer plateau ouvert et bureau individuel, mais de penser des plateaux plus petits, des bureaux à quelques personnes, de réintroduire des cloisons ou un appui dans le dos, de soigner les sièges…
- il ne s’agit pas d’opposer nomadisme et ancrage territorial dans un bureau attitré, mais de prendre en compte ce besoin d’ancrage territorial à une échelle pertinente pour l’individu et le collectif ! on ne peut pas passer directement du bureau individuel au plateau nomade, sans ancrer d’abord l’individu dans un collectif, dans une « tribu », qui dispose collectivement de son ancrage territorial…
- on ne parle pas forcément de supprimer le Wifi partout, mais d’aménager des espaces sans ondes, des espaces de silence, pour que le cerveau puisse se repose…
- avoir du Yang c’est bien, c’est stimulant, mais il vaut mieux qu’il soit devant que derrière soi (là il devient une source des stress majeur)
- etc…
Tant il est vrai que, comme le dit Marie-Pierre Dillenseger,
« on peut faire tout, partout, tout le temps… mais pas longtemps ! »
SI ON VEUT DURER LONGTEMPS (ou si on veut que les collaborateurs durent longtemps et ne soient pas des collaborateurs « Kleenex ») , il faut réintroduire une dose de Yin dans l’aménagement des espaces tertiaires, et dans nos agendas ! Et apprendre à ne faire qu’une chose à la fois.
J’entends déjà critiquer :
« mais le but d’une entreprise, ce n’est pas de faire de la philanthropie ni de s’occuper du bien-être de ses salariés, tout ça, ça coûte ! ».
Ce qui pose problème dans ce genre de raisonnements, c’est qu’il pose comme évidence l’incompatibilité entre bien-être / santé d’une part, et performance économique d’autre part. Il pose l’humain comme moyen de production (l’humain comme RESSOURCE) et non comme partenaire et Richesse à respecter, à magnifier… Peut-être pourrions-nous inventer d’autres modèles de performance économique ?
Et par ailleurs, si on raisonne « coûts cachés » (ces coûts de la non performance, de la non motivation, qui ne figurent nulle part dans les comptes ni dans la comptabilité analytique officielle) :
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- Combien ça coûte à l’entreprise, une équipe en état de sidération parce qu’elle voit l’un des siens s’effondrer ?
- Combien ça coûte à l’entreprise, de devoir remettre le nez dans les dossiers laissés en jachère du jour au lendemain sans préavis, et essayer de les continuer (quitte à aménager un agenda déjà bien plein, ou quitte à générer de l’insatisfaction avec des partenaires, des clients, quitte à perdre des opportunités ?)
- Combien ça coûte à l’entreprise, un arrêt maladie ?
- Combien ça coûte à l’entreprise, de devoir recruter, intégrer, un cadre de ce niveau ?
- Et combien ça coûte à la collectivité, une personne en Affection de Longue Durée ? Un orphelin qui pleurera son père ou sa mère toute sa vie, et se rebellera contre le monde de l’entreprise, dont il pensera (à tort ou à raison) qu’il a tué son père ou sa mère ?
En résumé et en pratique :
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- L’entreprise ne peut pas aménager ses espaces sans prendre en compte la question de la Santé, du stress – et sans les mettre en priorité au même niveau que la créativité l’agilité, etc.
- Pour cela il importe de veiller, dans les projets, à réintroduire une dose de Yin (à doser selon l’état préalable du corps social, la culture initiale, la démographie de l’entreprise…) – dans le TEMPS ET dans l’ESPACE !
- Dans tout projet d’aménagement des espaces, se doter d’outils de mesure de l’impact humain, à suivre dans le temps (y compris les arrêts maladie)
- D’autres facteurs existent : le management, l’état du collectif … Un ETAT DES LIEUX préalable et un TRAVAIL CONCOMITANT sur ces aspects est pertinent ! l’espace peut faire levier sur une culture, mais c’est avant tout un SYSTEME COMPLET, qu’il faut faire évoluer en cohérence.
Que faire en pratique ?
Vous êtes porteur de projet, décideur : dirigeant, DRH, responsable QVT, responsable immobilier :
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- intégrez ce critère de l’impact santé dès le cahier des charges de votre projet d’aménagement spatial
- montez votre équipe projet en équilibrant les sensibilités.
- Prenez le temps d’adopter un processus à l’écoute des collaborateurs
- Choisissez des partenaires et prestataires qui peuvent aussi intégrer cette dimension (on parle certes d’ergonomie, mais pas seulement ! on parle d’anthropologie, de Feng Shui … Veillez à la consistance de la conviction au-delà du discours.
Vous êtes individu …vous avez peu de poids dans le projet, ou vous subissez actuellement une situation qui doit durer encore un certain temps :
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- Faites ce que vous pouvez à votre niveau, dans votre espace de travail, pour réintroduire un peu de Yin (en particulier, dans votre dos)
- Apprenez à écouter les signaux de votre corps (fatigue, palpitations, difficultés de sommeil, de concentration). Raisonnez préventif, consultez un médecin si besoin sans donner la priorité à tel dossier urgent – qui devrait bien avancer sans vous si vous avez un pépin !
- Trouvez dans vos locaux des espaces de retrait – même si, souvent, les seuls qui restent sont les toilettes, les escaliers, les locaux de rangement !
- Faites des pauses, bougez, respirez, sortez au soleil, marchez … Vous aurez les idées plus claires au retour !
- Exprimez et faites remonter vos besoins (même si vous avez l’impression que ça ne sert à rien… ça finira par payer !)
- Travaillez sur votre habitat : là, vous avez plus de marge de manœuvre ! et commencez par éteindre le Wifi – au minimum la nuit, par sortir les écrans de votre chambre (télévision, tablette, smartphone, PC ): investissez dans un petit réveil à pile à la place de votre smartphone posé sur la table de chevet ! Il s’agit de limiter la Pollution électromagnétique chez soi, car c’est une source majeure de stress oxydatif. Sans vous cacher derrière l’alibi du prétendu Wifi du voisin (un jour, je vous montrerai les vraies mesures !)
Rappelez-vous que VOUS ETES le premier responsable de votre propre VITALITE !
Et si vous avez besoin de conseils et d’expertise, je suis à votre écoute, que vous soyez porteur de projet ou individu.