L’architecture contemporaine peut-elle tout se permettre ?

Créativité, ondes de forme et responsabilité du designer d’espace

En avril dernier, j’ai participé à une visite de la « Fire Station » : ce bâtiment a été réalisé par Zaha Hadid, en 1993, sur le Campus Vitra à Weil am Rhein en Allemagne.

Pour celles et ceux qui ne la connaissent pas, Zaha Hadid est une architecte anglo-irakienne (1950-2016), qui a reçu le prestigieux prix Pritzker (considéré comme le « prix Nobel d’architecture ») en 2004.

Le concept voulu par l’architecte, l’ « histoire racontée » par la forme, est celle d’une « explosion figée dans la matière». Cela donne ceci :

Garder l’humain sous tension

D’après la personne qui commentait la visite, l’intention était aussi de maintenir les pompiers, dont c’était le camp de base sur le site,  en état de vigilance permanente.
Bref, les garder « sur la brèche », toujours prêts à intervenir.

Je reformule : l’intention de l’architecte était (donc) d’empêcher les pompiers de se reposer entre leurs interventions.

Dit comme cela, cela vous choque ? Rassurez-vous, moi aussi.

Le repos, condition de l’efficacité et de la vitalité

Pourquoi ça me choque ?

Parce que le repos est la condition de l’action efficace : la bonne action, au bon moment, c’est-à-dire quand les circonstances l’exigent…
Le repos est la condition de la vigilance ; et la vigilance, l’attention portée à la situation, la présence aux circonstances, sont les conditions sine qua non de l’action efficace .

Du point de vue de l’humain, c’est aussi une clé de la vitalité, et donc de la santé à long terme, et du bien-être de façon générale : physique, psychique, émotionnel. Un humain fatigué perd en discernement, ses décisions seront moins réactives et moins justes, ses réflexes seront moins précis.

Pour des pompiers, je vous laisse imaginer les conséquences possibles !…

C’est comme un moteur qui reste sous tension en permanence : il a plus de chances de griller…

J’avoue être un peu perplexe, voire choquée, en tant qu’architecte d’intérieur holistique, que l’intention d’un architecte puisse être de maintenir des travailleurs sous tension, sans repos, pendant toute leur journée de travail…

 

Aucune ligne verticale

Par quels dispositifs l’architecte a-t-elle concrétisé son intention ?
Par l’absence d’orthogonalité. Dans ce bâtiment, rien n’est vertical, rien n’est perpendiculaire.

La sensation, quand on rentre, est assez troublante. On se sent balloté, déstabilisé. Personnellement, ça m’a « collé la gerbe », pardon pour cette expression bien peu poétique !

Descendre l’escalier est une épreuve singulière également, il faut s’accrocher à la rampe pour ne pas perdre l’équilibre.

« A côté de mes pompes »

Mais je n’étais pas au bout de l’expérience.

Le lendemain, je réalise que je ne marche pas droit. Je suis, au sens propre, « à côté de mes pompes ».

Il me faut faire un petit détour conceptuel pour introduire la notion de corps subtiles.

Une histoire de corps subtiles, comme un jeu de poupées russes

Notre corps physique (celui qu’on peut toucher, qui se cogne dans les meubles et se prend les pieds dans le tapis) est entouré d’une série d’enveloppes invisibles énergétiques.
Selon les traditions et les méthodes, le nombre et les dénominations varient : corps émotionnel, spirituel, astral, causal, …On peut les regrouper sous la dénomination de « corps subtiles ».
Dans le cas optimal :

  • toutes ces enveloppes s’emboitent les unes dans les autres comme des poupées russes quand elles sont bien rangées.
  • la circulation d’énergie, de Qi, est fluide entre toutes ces couches qui coopèrent et échangent les informations entre l’individu et son environnement.

Mais il arrive que ces corps se désaxent, se décentrent… Suite à un choc émotionnel par exemple. Il s’ensuit fatigue, lassitude, ou d’autres symptômes comme… le fait de ne pas marcher droit.

En 20 minutes j’ai perdu mon axe

C’était exactement mon cas, après à peine 20 minutes passées dans ce bâtiment de Zaha Hadid !

J’en étais moi-même ébahie, après 20 minutes sans lignes verticales, j’avais tout simplement perdu mon axe vertical, je n’étais plus calée entre Terre et Ciel, j’avais perdu cette connexion si importante dans tous les arts énergétiques chinois !

Cette nausée à l’entrée, c’était le signal de mon axe qui « foutait le camp », de mes corps subtiles qui se décalaient. Comme si je passais dans une lessiveuse, en sorte.
J’ai pu me recaler, grâce au Qi Gong, à la méditation, et aux bons soins de mon amie Audrey Chapot.

Les conséquences

Que se serait-il passé, si je ne m’en étais pas rendu compte ? Car, étant donné mon métier, je suis particulièrement sensible et vigilante sur ces questions d’axes.
Je suis aussi sensible que le canari dans la mine de charbon (utilisé par les mineurs pour détecter l’émanation de méthane : lorsque le canari s’évanouissait, il fallait partir dare-dare avant le coup de grisou !)

Au-delà de mon cas personnel, surtout, comment ce bâtiment impacte-t-il ses visiteurs ? Quelles traces (éventuellement toxiques ?) laisse-t-il ?

Perdre son axe, c’est perdre son ancrage (le lien avec la Terre) et sa connexion (le lien avec le Ciel).

Cela conduit à perdre :

  • sa stabilité physique, d’où un risque de chutes ou d’accidents,
  • et sa stabilité émotionnelle, d’où un risque de « pétage de plombs »

Peut-être d’ailleurs que d’autres s’en sont rendu compte : car le bâtiment a changé d’usage après 3 ans seulement d’exploitation, et il sert dorénavant d’espace d’exposition et de réunion : bref, d’espace où on ne fait que passer, et où on ne demeure pas. On peut imaginer que les pompiers ne restaient pas longtemps …

Notre responsabilité de designer d’espace :

Cela me questionne (mais cette question, je me la pose depuis longtemps !) sur notre responsabilité en tant que designer d’espace !

  • Construire un bâtiment, c’est construire un émetteur d’onde de forme : ce que j’ai expérimenté, c’est l’effet d’une onde de forme particulièrement violente et nocive.
  • En tant que designer d’espace, nous sommes responsables (au moins en partie) du vécu et du ressenti des gens qui vivent dans les lieux que nous concevons, du fait de l’existence de ces ondes de forme. Le problème est que ça n’est pas enseigné dans les écoles….

Si l’objectif d’un lieu est d’assurer bien-être, santé, stabilité physique , psychique et émotionnelle, alors il est nécessaire de respecter l’orthogonalité, la verticale (des murs) et l’horizontale (des sols et des plafonds).

C’est une des conditions du calage de l’homme entre Ciel et Terre.

Toute autre configuration est possible quand le lieu a une fonction de circulation, surtout si on cherche à éviter que les gens ne stationnent (comme dans les halls d’immeubles par exemple).

La « fonction oblique »

Il est assez fréquent d’utiliser un procédé d’abaissement du sol dans les églises, en allant vers le chœur : mouvement d’abaissement, dans une position humble : c’est le cas de l’Eglise de la Lumière de Tadao Ando (1989) mais avant lui, l’Eglise Sainte Bernadette de Banlay à Nevers, par Claude Parent et Paul Virilio (1964-66) , le Couvent de la Tourette à Eveux près de Lyon par le Corbusier (1957-60) , et même l’Abbaye de Boscodon (13e siècle).

Mais, pas dans d’autres types de programmes …
Pourtant, Claude Parent (architecte français – 1923-2016), avec Paul Virilio (1932-2018), ont conceptualisé la « fonction oblique » et l’ont généralisé à l’habitat.

Permettre à l’humain de reprendre conscience de son déplacement dans l’espace, faire en sorte que se mouvoir quitte le monde des automatismes naturels pour devenir un geste volontaire et conscient, semble être l’objectif de ces principes.

C’est une autre façon de décrire l’expérience de ce que j’ai vécu dans le bâtiment de Zaha Hadid : ces bâtiments, demandant des efforts, sont énergivores, et… nocifs pour la vitalité….

Une chose peut être possible… mais pas souhaitable

Les progrès des techniques de construction, avec le béton armé et l’acier, ont permis une explosion d’inventivité formelle, dont les architectes contemporains jouent avec bonheur (pour eux).
Porte à faux audacieux, grandes ouvertures, obliques, lignes courbes … Les architectes cherchent à s’affranchir de la pesanteur et de l’orthogonalité, jugée peu créative et manquant franchement de fantaisie.

J’ai même un jour entendu l’architecte concepteur du Musée du Confluent, à Lyon, dire avec enthousiasme et gourmandise qu’il était persuadé qu’un jour, on saurait faire des bâtiments qui tiendraient en lévitation ! Voilà un futur qui lui semblait fort désirable….

Mais, en cherchant à s’affranchir des lois naturelles, parce qu’il SAIT le faire, l’humain sait-il à quelles conséquences il s’expose ? Si les bâtiments traditionnels sont posés au sol, de forme rectangulaire pour la plupart, il y a peut-être une raison….
Il ne s’agit pas de revenir « au temps des Amish » : la réponse « parce qu’on a toujours fait comme ça » est aussi agaçante que de sauter à pieds joins sur toutes les possibilités offertes par les techniques innovantes.

Car un bâtiment, c’est autre chose qu’une sculpture.

Le plein, la matière, façonne et met en forme un vide, un creux.

Ce creux prend une résonance particulière en fonction du plein qui le délimite. A nous, concepteur d’espaces, de bien peser les impacts de ce que nous faisons.
Quand on est un tant soit peu habitué, la sensation, on l’éprouve dès que le plan sort de l’imprimante : il « suffit » de connecter son ressenti.

C’est notre responsabilité, c’est notre honneur.

Vous avez un projet de conception ? Prenez contact pour en parler…

COMMENTAIRES

  • 16 juin 2022
    répondre

    St-Gérand Bénédicte

    Bonjour Isabelle,
    Je trouve votre article sur la « Fire Station » de Zaha Hadid excellent. En le lisant je me suis dit « Enfin quelqu’un qui remet en cause ces performances technologiques et architecturales -au demeurant extraordinaires- au service de l’ego de quelques personnes et non plus du bien être des humains! » Bravo d’avoir le courage de le dire tout en étant dans ce domaine (comme moi, aussi) et merci !
    Bénédicte St-Gérand, restauratrice de monuments historiques et décoratrice d’intérieur.

  • 17 juin 2022
    répondre

    Monique F

    Orgueil quand tu nous tiens ! (petit message pour tous ceux qui se font plaisir sans penser au bien-être des humains)
    J’ai les mêmes sensations que toi, Isabelle, en visionnant les photos.
    C’est incroyable ! Je ne pensais pas que cela pouvait à ce point nous impacter !
    Merci pour ce partage et je te souhaite un été créatif et studieux 🙂

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