Suite à l’article paru dans l’Optimisme Pro, et en particulier le diaporama « les 6 conseils d’Isabelle Sengel », j’ai reçu ce commentaire sur les réseaux sociaux :
« Je suis très loin de ce feng shui là…
Cela s’apparente plus à de la gestion d’espaces et des conseils d’organisation de son travail mais pour moi ils ne sont en rien liés à du Feng Shui traditionnel…
Cela dénature le vrai Feng Shui qui est beaucoup plus complexe à mon sens et donc certainement moins facile à expliquer en entreprise. »
Il provient d’une consœur que je ne connais pas … et qui visiblement ne me connait pas non plus, car écrire que cela « dénature le vrai feng shui » me laisse assez perplexe…
Quoi qu’il en soit, je profite de l’opportunité pour clarifier la posture qui guide ma pratique, et je souhaite ici remercier cette consœur de m’en avoir fourni l’occasion.
L’arrogance du débutant…
En fin de compte, cette « arrogance du débutant », je pouvais moi-même en faire preuve il y a quelques années à peine…
L’arrogance d’une personne sûre de son savoir, de son expertise, lestée de ses certitudes.
Des certitudes apprises en formation, et pas encore confrontées à la complexité du terrain… Ce terrain qui nous ramène souvent à plus de modestie, car il nous montre sans cesse tout ce qu’il nous reste à comprendre ! (à ce sujet, vous pouvez relire la métaphore du boucher du prince Wen-Houei, racontée par Tchouang Tseu)
J’aurais pu moi aussi avoir la même réaction il y a quelques années: « donner des conseils valables pour toutes les situations n’est pas possible, n’a pas de sens : seul compte le Feng Shui traditionnel, qui implique de calculer une carte énergétique. Donc consultez un vrai expert en Feng Shui traditionnel, moi par exemple ! »
Plusieurs événements m’ont fait changer de posture.
- Il y a d’abord cette rencontre avec une praticienne de feng shui simplifié (qu’elle me pardonne, j’ai oublié son nom mais je revois son visage, la douceur de ce qui se dégageait d’elle, et la réelle bienveillance de son intention). Cela m’a fait réfléchir car j’ai croisé tellement d’arrogance et de quête de pouvoir dans le milieu du Feng Shui traditionnel, que je pense maintenant qu’il vaut mieux un praticien moins « pointu », mais sincère dans son désir de comprendre l’autre, de l’aider, sans emprise…. Quelqu’un qui a remis son propre ego à sa juste place.
- Et puis, il y a eu le livre « Oser s’accomplir » de Me Marie-Pierre Dillenseger, qui m’a formée. Quand elle me parlait de son projet, 12 clés pour trouver sa place et prendre soin de sa vitalité, valables pour tout le monde et dans tous les cas (comprendre : sans carte énergétique), j’avoue que j’étais perplexe…. Comment était-ce possible ?
Eh bien, en lisant ce livre, j’ai compris beaucoup de choses. En particulier, qu’accéder à une telle densité d’enseignement était possible, à force d’expérience …
« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement » (Boileau)
- J’ai compris que la posture de l’expert était une façon de prendre le pouvoir sur les gens.
- J’ai compris que l’important, c’est d’accompagner les gens vers l’autonomie.
- J’ai compris que rien ne vaut la mise en mouvement, le passage à l’acte, une démarche des petits pas.
- J’ai compris que ce qui nous tue, nous occidentaux, c’est cette posture : « si je ne peux pas être parfait-e, je préfère ne rien faire »…
Je développe.
La posture de l’expert
Vous savez, ces postures du type :
« Moi, expert, je sais. Vous, client, vous ne savez pas. Alors ne touchez à rien sans me demander d’abord, vous pourriez faire des bêtises qui pourraient vous mettre en danger ».
Cela conduit à des client tétanisés, qui n’osent plus changer un torchon sans nous demander de quelle couleur ils doivent le choisir…
Ces postures de prise de pouvoir sont-elles justes ?
Clairement, non.
Dire aux gens « je dois revenir tous les ans pour ajuster votre lieu aux étoiles annuelles » est une façon de les garder sous emprise.
Prendre la mesure d’une façade avec un Luo Pan (ces boussoles chinoises spectaculaires, remplies d’idéogrammes) en prenant un air inspiré peut être une mystification.
Entendons-nous bien : j’ai moi aussi un Luo Pan, mais quand je l’utilise je dis toujours au client : « ça a l’air compliqué, mais en fait voyez-le juste comme une boussole… »
Dire « le feng shui traditionnel est beaucoup plus complexe que les formes simplifiées », c’est juste.
Mais certaines écoles, en rajoutant des couches et des couches ( par exemple superposer BaGua, Etoiles flottantes /BaZhai, et Etoiles Volantes), perdent de vue l’efficacité au profit d’une prise de pouvoir.
Cette posture est inefficace et dangereuse : ce qui compte, c’est de progresser vers l’objectif, vers la résolution d’une problématique qui a été posée au préalable.
C’est un peu comme un médecin qui vous dirait : « n’essayez pas de manger mieux, ne me posez pas de question sur l’exercice physique qui améliorerait votre situation. Vous ne sauriez pas faire et vous pourriez vous mettre en danger. Mais venez me voir tous les mois pour que je vous prescrive des médicaments, qui ne seront pas les mêmes à chaque fois ».
Vous lui faites confiance ? vous le suivez ? Moi, clairement, non.
Le juste niveau de complexité : complexité et efficacité
Les débats d’expert, en feng Shui, font du tort à tout le monde, car tout le monde est perdu. La phrase que prononcent le plus souvent les gens qui m’appellent, c’est « j’ai fait des recherches sur internet, mais ce n’est vraiment pas évident de s’y retrouver ! ». Et c’est vrai.
Quel est le juste niveau de complexité ? C’est celui auquel on garde une capacité d’action. Si vous restez tétanisé-e en n’osant plus rien bouger, c’est que quelque chose cloche.
J’aime bien utiliser le schéma ci-dessous :
Dit autrement, passer des formes simplifiées aux formes traditionnelles permet de franchir un vrai gap en efficacité.
Mais à un moment, ajouter des couches de complexité n’apporte pas grand-chose en terme d’efficacité. Or, la pensée chinoise est avant tout pragmatique, orientée solution. Comme le dit le dicton :
« Est vrai ce qui marche, est faux ce qui ne marche pas »
Ce que Deng Xiaoping a traduit ainsi :
« Peu importe que le chat soit blanc ou noir, du moment qu’il attrape les souris ».
C’est toute la clé de ce que m’a transmis Me Marie-Pierre Dillenseger :
« The proof is in the pudding !
Accompagner chacun vers l’autonomie
L’Autonomie, c’est une clé. Donc vouloir assommer notre client de notre savoir, des enjeux, des risques, est une erreur.
Notre responsabilité, à nous praticiens, est de l’éclairer sur le lien entre :
- ce dont il se plaint (la problématique de départ),
- le potentiel de son lieu (la carte énergétique, établie à partir de la façade mesurée à la boussole – ou sur des vues aériennes, maintenant – et de la date de construction du lieu) : c’est « l’école de la boussole »
- et les formes (intérieures et extérieures) qui viennent incarner, activer – ou pas ! – ce potentiel énergétique : matières, couleurs, activités, pleins et vides, portes et fenêtres… Les mots-clés sont ici : théorie des 5 éléments, dosage Yin-Yang, «animaux emblématiques», flux, Qualité du Qi (Sheng Qi et Sha Qi)…
Le Feng Shui traditionnel est la conjonction de ces deux écoles : école de la boussole et école des formes, les formes donnant vie, corps, au potentiel énergétique du lieu.
Sur un lieu construit, notre rôle de praticien est donc d’élaborer le plan d’action, dont les formes sont le levier, pour améliorer la problématique.
Une fois le lieu construit, on ne peut plus (sauf exception) agir sur la carte énergétique.
Je reformule : une fois le lieu construit, nous ne pouvons plus agir que sur les formes (le placement des activités, les matériaux, les couleurs…) et sur les comportements, les postures, pour résoudre la problématique.
Accompagner les gens vers l’autonomie, c’est les responsabiliser sur ce plan d’action, en leur donnant l’éclairage utile pour qu’ils comprennent le lien entre leurs actes et leur problématique. En décodant et décryptant aussi, parfois, leurs résistances …en leur laissant la responsabilité de leurs actes !
Une démarche des petits pas
Dans les articles que j’ai rédigés pour l’Optimisme Pro, j’ai voulu condenser des principes simples, valables pour tout le monde.
Commencer par ces principes de bon sens, à quoi ça sert ?
A commencer à toucher du doigt l’impact des lieux. Ensuite, on peut évidemment aller plus loin avec le décodage de la carte énergétique … Mais mettre un pied devant l’autre est le meilleur moyen d’avancer….
« Un voyage de 1000 lieues commence par un pas », (Lao-Tseu)
C’est très lié au principe suivant.
Tordre le cou à notre désir de perfection
« Le mieux est l’ennemi du bien », disait ma grand-mère.
C’est très occidental, de se dire «tant que mon plan d’action n’est pas parfait, je ne fais rien» ou «si je ne peux pas résoudre 100% du problème, ça ne sert à rien de faire quoi que ce soit».
C’est un peu ce que suggère la posture de ma consœur.
Ah, le fameux driver « sois parfait« , et ses nombreuses conséquences (comme le syndrome de l’usurpateur, par exemple)…
Le pragmatisme chinois, au contraire, les incite à avancer sans attendre que le plan d’action ne soit parfaitement calé.
Quitte à donner l’impression de « bricoler » (en langage entrepreneurial, on dirait « prototyper » !). On avance d’un pas, on voit ce que ça donne, on ajuste, on avance d’un 2e pas, etc…
En fait, c’est la définition même du Tao ! Loin d’être un concept ésotérique, « Tao » se traduit par « démarche », « méthode »…
« Un coup yin, un coup yang c’est comme ça que ça marche »…
On retrouve ici les démarches itératives, l’effectuation….
Dans la pensée chinoise, la perfection correspond au monde de l’au-delà (on parle du Ciel Antérieur, le monde d’avant l’incarnation). Dit autrement, la perfection c’est la mort !
La faiblesse est sublime, la force est méprisable. Quand un homme naît, il est faible et souple. Quand il meurt, il est fort et raide. Quand un arbre croît, il est souple et tendre ; quand il devient sec et dur, il meurt. La dureté et la force sont compagnes de la mort. La souplesse et la faiblesse traduisent la fraîcheur de la vie. C’est pourquoi ce qui a durci ne vaincra pas.
(Lao-Tseu)
Conclusion
Une phrase, surtout, m’a particulièrement laissée perplexe :« Cela s’apparente plus à de la gestion d’espaces et des conseils d’organisation de son travail mais pour moi ils ne sont en rien liés à du Feng Shui traditionnel.. »
Parce que le Feng Shui n’est pas lié à l’organisation des espaces ? Allons-bon !
Plus sérieusement : Me Marie-Pierre Dillenseger nous répétait souvent : nos remèdes ne doivent JAMAIS contrevenir au bon goût et au bon sens.
Et pourtant, les annales du Feng Shui sont pleines de contre exemples :
- des lits mis dans la diagonale de la pièce (« pour respecter les bonnes directions »),
- le fait d’acheter un 2e four (« parce que Monsieur et Madame n’ont pas les mêmes directions favorables »),
- faire passer les gens de leur chambre à leur salle de bains via le balcon, été comme hiver …
- et le summum, demander à la personne de mettre son lit sur le palier de l’immeuble !
Alors oui, j’assume que les préconisations parfois ne soient pas parfaites :
- parce qu’il faut aussi faire avec ce qui est possible, selon les possibilités techniques et financières, la configuration des lieux, la situation des gens (propriétaire ou locataire, ça fait une différence…)
- parce que l’ergonomie n’est pas négociable.
- parce que le lieu parfait n’existe pas… même si on le fait construire !
Prioriser, arbitrer, c’est la clé dans la conduite du plan d’action, dans une démarche orientée résolution de problèmes.
J’assume aussi que l’esthétique a sa place dans tout démarche y compris Feng Shui.
J’ai parfois fait des conférences sur le thème « le feng shui ce n’est pas de le déco ». Pour autant :
- la décoration joue sur notre perception de l’espace, et donc sur notre bien-être, donc oui la déco c’est utile !
- Le feng shui est plus vaste que la décoration,
- Le feng shui ne doit pas être contraire à la décoration, au moins au goût des personnes, et au bon goût de façon générale.
« Il n’y a pas de petit gain, il n’y a pas de petite perte : tout gain est un gain, toute perte est une perte » (Me Marie-Pierre Dillenseger)
Alors oui, ces principes « simples » sont pertinents, efficaces.
Est-ce qu’ils suffisent à optimiser un lieu ? Certainement pas.
Mais ils constituent un premier pas, pour vous, pour commencer à expérimenter ce que ça fait, de faire alliance avec le lieu.…. Parce que s’il y a une clé, c’est bien celle-ci !
Avant de décrypter l’invisible, apprenons déjà à voir ce qui est visible… Et il y a déjà un sacré travail d’optimisation, dans ce domaine !
Et si vous voulez aller plus loin, évidemment j‘ai encore beaucoup de choses à vous faire découvrir, et certainement de la marge de progression à vous faire parcourir, avec le Feng Shui traditionnel…. Quand vous en sentirez le besoin et l’opportunité !
2 Responses
Merci, votre article me semble très juste. Il ne s’agit que de bon sens, d’écoute et de conscience. Trois items, que comme vous dites, ne nous suivent pas toujours au quotidien.
Merci Sonia pour votre commentaire, je nuancerais le propos : il ne s’agit pas SEULEMENT de bon sens, mais, il s’agit AUSSI de bon sens !