Le jeu (dangereux ?) du Feng Shui et du Pouvoir
Autant le dire tout de suite, cet article risque de ne pas plaire à tout le monde.
Je crois pourtant faire œuvre utile en mettant un coup de projecteur sur un angle mort du milieu du Feng Shui…Et des arts énergétiques plus généralement. Sur des pratiques en lien avec une prise de pouvoir, pratiques un peu dérangeantes à mes yeux.
Ce faisant, mon objectif est de permettre aux praticiens en Feng Shui bienveillants, compétents, éthiquement responsables (il y en a !) de se montrer un peu plus. En effet ils sont ceux qui renouent avec l’esprit d’origine de ces pratiques.
Un peu d’histoire…
L’Humain a toujours cherché à comprendre son environnement, à le « lire », pour vivre en bonne intelligence avec lui, et avec les forces qu’il pressentait à l’œuvre.
A l’origine, les rois chamanes
La figure du « chaman » a émergé pour accomplir cela, pour faire alliance et « négocier » les bonnes grâces de l’environnement sur le collectif. Encore aujourd’hui, c’est ce que font les chamans, les hommes et femmes médecine, des peuples dits « premiers » (ou « racine » : en Sibérie, en Mongolie, sur le continent américain… et ailleurs.)
Le Feng Shui, au départ, était porté par des « Rois Chamanes » – du moins c’est ce que dit la légende, car on ne sait pas s’ils ont vraiment existé. Le souverain avait pour fonction de faire en sorte que ces forces, regroupées en forces du Ciel et forces de la Terre, fonctionnent en bonne intelligence, en cohérence, avec l’humain.
C’est d’ailleurs le sens de l’idéogramme « Wang » (l’empereur, le souverain) :
Ces rois chamanes, dont le plus célèbre est FuXi, s’appuyaient sur leurs capacités à lire les signes, le paysage, à communiquer avec les éléments, les animaux, les plantes, les forces naturelles.
On peut dire qu’à ce stade, le Pouvoir et le Sacré étaient indistincts.
La séparation du Pouvoir et du Sacré
Avec l’évolution des peuples humains, la fonction Sacrée et la fonction Pouvoir se sont séparés.
Ainsi, en Chine, on a vu se succéder les dynasties au cours des siècles. Les Empereurs, qui avaient le pouvoir, avaient toujours pour fonction de maintenir l’harmonie entre Ciel, Peuple et Terre : c’était leur « mandat céleste ». Si quelque chose n’allait pas bien dans le pays (épidémies, intempéries, famines, invasions…), le peuple en déduisait que le Ciel avait retiré son mandat à l’Empereur. Ce qui, en général, ne se terminait pas très bien pour celui-ci !
Mais ces empereurs ne possédaient plus par eux-mêmes la compétence, le talent naturel, pour lire les signes et faire alliance avec Ciel et Terre (voir sur ma chaine YouTube ma conférence avec Audrey Chapot : l’Homme entre Ciel et Terre comment (re)rouver sa juste place entre ancrage et connexion ?)
Et autant le dire, ces empereurs n’étaient pas tous bienveillants, loin de là. On peut dire que la fonction Pouvoir (et maintien au pouvoir en particulier) avait largement pris le dessus sur la fonction Sacrée.
Pour accroitre et protéger leur pouvoir, ils se sont donc entourés d’experts : astrologues, géomanciens, praticiens en toutes sortes de techniques. Mais, technique et don personnel / talent, c’est un peu différent…
Les experts s’éloignent du sacré
Ces experts avaient intérêt à ne pas « échouer », parce que si leurs conseils n’étaient pas efficaces, cela ne se passait pas très bien pour eux. En quelque sorte, ils avaient une obligation de résultat, et pas seulement de moyens !
Tout le monde sait que le Médecin de l’Empereur était payé tant que celui-ci était en bonne santé, et cessait d’être payé tant qu’il n’était pas guéri. En réalité, c’était probablement pire que ça… Combien de médecins ont été exécutés, soupçonnés éventuellement d’avoir empoisonné l’Empereur, parce qu’ils n’avaient pas su le soigner de ses maux ?
Être géomancien, astrologue, maître en feng shui au service de l’Empereur et de sa quête de pouvoir, cela n’était donc sûrement pas une sinécure !
Si nous étions à leur place, à ces experts, que ferions-nous ? Nous tenterions de récupérer un peu de Pouvoir pour ne pas être broyé. Nous tenterions de nous rendre IN-DIS-PEN-SABLE pour moins risquer d’être exécuté.
Comment faire pour récupérer un peu de pouvoir ?
Deux leviers : l’expertise et la peur.
L’expertise en Feng Shui :
L’expertise, secrètement et jalousement gardée. Réelle ou supposée.
Réelle, parce qu’efficace. Mais quelle efficacité, au service de quoi ?
L’efficacité au service du Pouvoir a pris le dessus sur la quête d’harmonie entre ces trois forces que sont la Terre, le Ciel et l’humain. Ainsi, ces experts ont dû mettre leur art au service d’objectifs dont la Justesse pouvait laisser à désirer. Quitte à franchir la ligne rouge qui séparait leur pratique de la magie.
On a coutume de différencier Magie Blanche (au service du Bien) et Magie Noire (au service du Mal). Mais qui définit le Bien et le Mal, cette binarité parfaitement étrangère à la pensée traditionnelle chinoise… ?
Supposée, parce que nimbée de mystère et de secret…
En raffinant leur art, en le rendant moins facile à comprendre, en ne le transmettant pas, ou de façon incomplète, en utilisant des instruments ésotériques, obscurs et incompréhensibles, en créant toujours de nouvelles approches, les géomanciens d’hier se rendaient irremplaçables car seul dépositaire d’une expertise mystérieuse.
C’est probablement une des raisons pour la multiplication des approches de Feng Shui , des techniques, des écoles de Feng Shui, qui nourrit la confusion que nos clients évoquent encore aujourd’hui !
La peur :
De tout temps, le meilleur « truc » pour vendre, c’est d’inquiéter, puis de laisser penser / croire qu’on a la solution. On peut supposer que les experts d’hier, comme d’aujourd’hui , ont utilisé cette technique de vente.
Pas facile, de faire peur à l’Empereur ; on peut tenter ce genre de propos :
« suivez tel conseil, sinon vous allez tomber malade / vous allez perdre cette guerre, votre allié va se retourner contre vous, les inondations ou la famine vont frapper le pays » …
pour desserrer un peu la peur qu’il nous inspire.
Et de nos jours ?
De nos jours, il n’y a plus d’Empereur, mais ces deux leviers, expertise et peur, sont toujours utilisés par certains praticiens.
Sous quelle forme ?
L’expertise :
L’utilisation de mots chinois, d’outils chinois, comme le Luo Pan, cette grande (et belle) boussole pleine de signes kabbalistiques, dont chaque maître dessine son modèle et le vend (fort cher), inspire l’idée d’une connaissance complexe et raffinée. Le Luo Pan, c’est un outil de prise de pouvoir, avant d’être une boussole ! Je le dis parce que, quand on a besoin de mesurer la façade, de nos jours, il y a des outils nettement plus efficaces ! Les Luo Pan, comme les boussoles de randonnées, sont perturbées par les champs électromagnétiques de nos maisons. Leur mesure n’est pas plus fiable…
Le risque de la superposition des couches
La démonstration de l’expertise provient aussi de la superposition des approches et des grilles de lectures.
Dans le cadre de ma formation complémentaire personnalisée aux Etoiles Volantes, je ne compte plus les personnes qui superposent le Bagua, le BaZhai, les Étoiles Volantes, avec des sectorisations en rectangles et en « camembert » qui se superposent, une détermination du centre approximative…
Le problème, c’est que ces personnes, honnêtes et désireuses de bien faire (sinon elles ne me contacteraient pas pour tenter d’y voir clair !), ne savent plus quoi faire avec ces différentes grilles, ni comment articuler un plan d’action efficace à partir de là. Elles se noient dans une complexité qui les tétanise !
Les modes en Feng Shui
L’apparition de nouvelles modes contribue à renforcer la confusion. En ce moment, c’est la mode du Qi Men Dun Jia. Il ne suffit plus de pratiquer le Feng Shui traditionnel (et pour le Feng Shui simplifié / occidental / « purifié », n’en parlons même pas !)
Il ne suffit plus de pratiquer aussi les BaZi.
Pour se différencier, il faut rajouter cette technique…
Marie-Pierre Dillenseger le disait un jour à mes élèves :
« Je voudrais tellement vous éviter de multiplier les formations… Plutôt que rajouter des techniques et des techniques, œuvrez plutôt à approfondir et maîtriser les Étoiles volantes ! Elles ont un tel potentiel, elles sont si puissantes ! »
Être expert, est-ce multiplier des techniques en les survolant ? Au risque de ne pas savoir proposer de solution ? Ou approfondir les techniques qu’on possède déjà pour accroitre son efficience et cibler son action ?
La peur :
Aujourd’hui comme hier, faire peur est une des meilleures techniques de vente, nous l’avons vu. En Feng Shui, cela peut s’appliquer aux constats ou aux conseils :
Des constats, parfois entendus, comme ceux-ci :
« votre maison est du groupe de l’Ouest or vous êtes du groupe de l’Est : cette maison n’est pas faite pour vous ! » ou
« cette maison est nocive je vous conseille de déménager »
sont toxiques, car ils induisent une défiance de l’habitant par rapport à son lieu, ce lieu qui pourtant est fondamentalement bienveillant et ne cherche qu’une chose : aider la personne à progresser sur son chemin.
Les conseils comme
« cette année, le 5 jaune annuel est dans le secteur Nord, ne creusez pas la terre dans ce secteur ci cette année »
induisent de la peur, mais aussi une dépendance car, comment savoir où se situe le 5 jaune l’an prochain ? Pour le savoir, il faut reconsulter l’expert l’an prochain !
Voir aussi cet article sur la posture du praticien en Feng Shui
La peur est toxique
Homo Sapiens est abreuvé de peurs. Si, à l’origine de l’humanité, le stress et la peur pouvaient être des conditions de survie nécessaires pour se préparer, par exemple, à l’attaque d’un tigre au dents de sabre qui rodait dans les parages, il n’en va plus de même.
De nos jours, les situations où la peur et le stress sont utiles pour mobiliser nos ressources et notre instinct de survie sont devenues plutôt rares – et c’est tant mieux !
Multiplier les informations anxiogènes et stressantes n’a pas d’autre impact que de diminuer notre vitalité, de réduire nos défenses immunitaires en augmentant le stress oxydatif et en nuisant à la qualité de notre sommeil.
Renouer les fils du dialogue entre l’Homme et ses lieux
En tant que praticien en Feng Shui traditionnel, je considère que notre action doit conduire à renouer les fils du dialogue entre le lieu et ses habitants. Or, la peur exclut tout coopération, toute entente, toute symbiose avec le lieu !
En réalité, un praticien honnête, avant d’ouvrir la bouche ou d’écrire quelque chose dans un rapport, devrait passer ses mots au crible suivant :
- Quels leviers d’action possède mon client pour améliorer la situation ? (peut-on modifier un placement, bouger un objet … ?
- Que doit-il comprendre, ou modifier dans ses postures ?
- Qu’est-ce que je provoque comme émotion chez mon client avec cette phrase ?
La communication doit plus porter sur ce que la personne peut faire, ou doit comprendre, et modifier. Quitte à ne pas tout dire !
L’objectif caché, conscient ou non, de certains praticiens en Feng Shui est trop souvent de « montrer ses muscles » (son expertise), de « faire le malin », ou de créer une forme de dépendance. On n’en est plus à récupérer de la marge de négociation pour survivre face à un empereur redoutable, mais il s’agit de sécuriser son chiffre d’affaires. Et ça, c’est franchement problématique (et foncièrement inefficace, c’est ma conviction !)
Incidemment, c’est surtout problématique lorsque, pour cela, ledit praticien forme des « futurs praticiens » sans leur donner les moyens de pratiquer correctement ensuite. Si on forme, c’est pour transmettre, réellement ! Sinon, c’est juste malhonnête. Et croyez-moi j’en ai vu souvent… ça me rend triste pour ces personnes qui cherchent à se former pour faire œuvre utile, et se « font avoir » !
Des promesses insensées
Aujourd’hui comme hier, prendre le pouvoir sur le client, cela passe aussi par le fait de lui promettre monts et merveilles grâce au Feng Shui. Jadis, remporter des batailles décisives sans coup férir, disparaître des yeux de l’ennemi en passant dans des portails magiques, ou acquérir l’immortalité…
Aujourd’hui, attirer les miracles, faire fortune, réussir dans la vie… sans effort et sans chercher à comprendre comment se positionner dans la vie…
Mais, si ce sont là des promesses insensées, finalement alors, le Feng Shui, à quoi ça sert en vrai ?
Voir aussi cet article : Que peut-on attendre du Feng Shui ?
Prendre le pouvoir sur le lieu ?
N’instrumentalisons pas le lieu !
Il fut un temps où je disais :
« le Feng Shui sert à ce que ce soit le lieu qui vous aide à atteindre vos objectifs. Il fait une partie du boulot pour vous ».
Je ne raisonne plus comme cela. Parce que finalement, cela revient à « instrumentaliser » le lieu, dit autrement à prendre le pouvoir sur lui. Pour qu’il nous donne ce qu’on veut.
Désormais, je trouve ça dérangeant et je ne dis plus cela.
Le lieu, un mentor
Je pense que le lieu est mis sur notre route pour nous enseigner, pour nous aider à avancer sur notre route, tel un enseignant, un mentor… Même si pour cela il nous faut ajuster nos objectifs et laisser de côté ceux qui ne sont « pas pour nous ».
Finalement, ce qu’on trouve au passage, c’est bien plus que « Réussite, Gloire, Amour… » : c’est soi-même.
Comme dans l’Alchimiste de Paolo Coehlo, se trouver soi-même, c’est finalement ça le plus beau des trésors…
Si vous cherchez un enseignant ou un praticien en Feng Shui
Alors en résumé, si vous cherchez un praticien en Feng Shui (ou un formateur pour découvrir cet art traditionnel),
- échangez avec lui / elle. De vive voix (par téléphone ou visio, au moins), pas par mail. Vous capterez plus d’informations.
- Branchez vous antennes,
- Fuyez toute tentative de prise de pouvoir, de poudre aux yeux. Fuyez l’arrogance et le ton suffisant.
Voir aussi cet article : Feng Shui traditionnel et « trucs et astuces » : droit de réponse
La personne doit être claire, précise dans son propos. Elle doit être à l’écoute. Vous devez sentir qu’elle a travaillé pour maîtriser son ego, qu’elle est souveraine d’elle-même – une autre signification de l’idéogramme Wang…
Et, même si cela ne plait pas forcément, elle doit vous mettre « au boulot », face à vos choix et à la responsabilité de vos actions.
Personnellement, je ne promets aucun miracle. Je cherche juste à vous permettre de mieux vivre en osmose avec votre lieu, ce compagnon de route fidèle, bienveillant, qui attend juste que vous le considériez pour ce qu’il est : l’allié dont vous avez besoin, à un moment donné de votre parcours de vie.
Crédits photos : 123rf
Hervé
Superbe article, merci beaucoup !
Isabelle SENGEL
Merci Hervé !